Discours de remerciement – Berne, 15.11.2013

France

Pascale Cossart

Prix Balzan 2013 pour les maladies infectieuses: recherches fondamentales et aspects cliniques

Pour ses contributions fondamentales dans le domaine de la biologie moléculaire des bactéries et de leurs interactions avec les cellules hôtes. Ses recherches ont permis des progrès significatifs dans la compréhension des mécanismes qui sont à la base des maladies infectieuses, et elles permettent d’envisager de nouvelles approches pour les combattre.

Monsieur le Conseiller fédéral,
Mesdames et Messieurs les présidents et membres de la Fondation Balzan,
Messieurs les Lauréats Balzan,
Mesdames et Messieurs,

Je tiens à commencer ce discours d’acceptation en rappelant que les maladies infectieuses tuent encore chaque année 15 millions de personnes dans le monde, ce qui correspond à peu près à un quart de la mortalité mondiale. Plus grave encore, la moitié de ces morts par maladies infectieuses concerne des enfants âgés de moins de 5 ans, vivant pour la plupart dans des pays en voie de développement. De plus, de nouvelles maladies mortelles ne cessent d’apparaître ou de réapparaître et de plus en plus d’agents infectieux deviennent résistants aux médicaments que ceux-ci soient antibactériens, antiviraux, antifongiques ou antiparasitaires. Bien sûr, depuis l’introduction de la pénicilline dans les années 40, les antibiotiques ont occupé une place centrale dans le traitement des infections bactériennes et ont rendu possibles des interventions médicales à haut risque, comme les greffes d’organes. Malheureusement la résistance aux antibiotiques a augmenté de façon alarmante et nous courons le risque de revenir à une ère pré-antibiotique. La situation est assez similaire pour les virus, les champignons et les parasites.

Les défis actuels sont donc une surveillance constante et des diagnostics rapides et efficaces et la recherche de nouveaux vaccins ou de nouveaux médicaments tant contre les maladies existantes que contre des maladies qui ne cessent d’apparaître ou de réapparaître. C’est dans un tel cadre que j’ai commencé, dans les années 80, à étudier la biologie des infections bactériennes, en choisissant la bactérie Listeria monocytogenes comme système modèle. J’ai toujours été convaincue que la génération de nouvelles thérapeutiques nécessitait et passait par une connaissance approfondie de la biologie des agents infectieux et de nos sensibilités à leur égard et je trouve absolument remarquable qu’une fondation telle que la Fondation Balzan,qui décerne des prix dans tant de domaines différents, ait décidé de reconnaître les efforts faits dans ce sens. Je suis heureuse pour notre discipline et particulièrement fière de recevoir ce prix. Je dois reconnaître que lorsque j’ai appris que j’étais la lauréate de cette prestigieuse récompense j’ai ressenti une très grande joie mais en même temps j’ai eu le sentiment que beaucoup d’autres éminents collègues auraient pu la recevoir. C’est donc un immense privilège et un très grand honneur pour moi et je remercie sincèrement la Fondation Balzan.
Lorsque j’essaie d’expliquer à des non scientifiques les découvertes clés que nous avons faites en biologie des infections en étudiant une bactérie qui ne figure pas parmi les agents infectieux les plus meurtriers, ils se montrent très vite intéressés et fascinés par cette bactérie. J’espère qu’il en sera de même aujourd’hui.

En fait nous étudions une bactérie qui contamine les aliments et affecte essentiellement les personnes dont le système immunitaire est affaibli ainsi que les femmes enceintes. A la différence de nombreuses autres bactéries similaires, cette bactérie, une fois qu’elle a atteint l’intestin, peut traverser la barrière intestinale, entrer dans le sang et se disséminer dans des organes plus profonds, pour enfin atteindre le cerveau et le placenta des femmes enceintes, entraînant gastroentérites, infections du cerveau, méningites, avortements ou accouchements prématurés. Ces différentes manifestations qui sont le fait d’une seule bactérie conduisent à la mort dans 30% des cas. Ce qui caractérise aussi Listeria, et ce n’est pas le cas pour d’autres bactéries similaires, c’est qu’elle est capable d’entrer dans nos cellules, de s’y développer et de s’y diviser. Ceci se produit dans les différents organes qu’elle infecte. C’est donc une bactérie étonnante et notre but a été de comprendre quelles sont les propriétés particulières qui permettent à la Listeria de faire ce que d’autres bactéries ne peuvent pas faire. Comment arrive-t-elle à s’introduire dans les cellules ? Comment parvient-elle à résister aux mécanismes de défense qu’une cellule met en oeuvre lorsqu’elle rencontre un corps étranger ? Nous avons ainsi découvert une série de stratégies et d’outils utilises par Listeria et parfois par d’autres bactéries. Evidemment ces études se font au niveau moléculaire et je ne peux pas les décrire ici mais, comme en témoigne cette récompense, nous avons mis en évidence des étapes clés dans la mise en place et la persistance d’une infection bactérienne. Ces étapes clés sont des cibles potentielles d’innovations thérapeutiques. Incidemment, en étudiant l’infection des cellules par cette bactérie, nous avons aussi découvert des composants de nos cellules que les biologistes cellulaires ne soupçonnaient pas. Il est clair qu’en raison de la longue co-évolution des bactéries et des hommes, les bactéries se sont particulièrement bien adaptées à leurs hôtes et ont mis au point, pour les infecter, de nombreuses stratégies très sophistiquées, qu’on ne pouvait vraiment pas anticiper. Lorsque nous avons démarré nos travaux à la fin des années 80, le domaine était terra incognita. C’était en fait une véritable mine d’or pour d’importantes découvertes à venir ! Et je dois remercier l’Institut Pasteur où je travaille pour m’avoir conseillé d’arrêter mes recherches sur les interactions ADN-protéines et m’avoir poussée à étudier les maladies infectieuses. La décision n’a pas été facile à prendre et j’ai mis plusieurs mois pour choisir un nouveau sujet de recherche.
La récompense que je reçois aujourd’hui montre combien il est important, avant d’entreprendre tout projet de recherche, de réfléchir, d’étudier la situation et d’identifier une question importante à résoudre.

Pour terminer je voudrais exprimer ma profonde gratitude aux nombreux collaborateurs qui ont travaillé avec moi, qui ont cru en leur projet et y ont apporté toute leur énergie et toute leur intelligence. Et de nouveau je tiens à exprimer ma plus profonde reconnaissance à la Fondation Balzan et au Comité Général des Prix pour cette prestigieuse récompense.

Pascale Cossart

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