Discours de remerciement – Berne, 18.11.1991

France

Abbé Pierre (Henri Grouès)

Prix Balzan 1991 pour l'humanité, la paix et la fraternité entre les peuples

Pour la bataille qu’il a menée, pendant toute sa vie, pour la défense des droits de l’homme, de la démocratie et de la paix. Pour son engagement au service de ceux qui souffrent dans leur corps et dans leur esprit. Pour avoir stimulé, à travers les “Communautés Emmaüs”, la solidarité de tous les hommes – sans distinction de nationalité, de race et de religion – sur tous les continents.

Monsieur le Président de la Confédération Helvétique, Mesdames et Messieurs,

Lorsque l’on devient très vieux l’on entend au-dedans de soi une voix disant : « Avant de t’en aller, dis-nous ce que tu sais ».

Mes amis, pour moi, (un quelconque parmi vous), ce que je sais, avec les certitudes que donnent tant d’affrontements avec les énigmes du temps, c’est que : « La Vie c’est un peu de temps donné à des Libertés pour – si tu veux – apprendre à Aimer pour la Rencontre de l’Eternel Amour dans le Toujours de l’au-delà du temps ».

Comme, un jour, devant l’innombrable public d’une émission de télévision, je disais cela, un homme connu, important, qui était tout près de moi devant la caméra, s’écria : « Pourquoi ne m’a-t-on pas appris cela quand j’étais enfant ! ? »

Vous qui allez entrer dans votre Vie Responsable, filles et garçons de 20 ans, n’ayez pas peur, mais ne vous trompez pas de route.

C’est à vous surtout que j’ai faim de parler – vous qui entrez dans la vie en un temps si nouveau, où tout est Universel.

Deux routes sont devant vous, (comme elles furent devant toute génération, mais désormais entrainÎant avec tellement plus de rapidité vers le meilleur ou vers le pire), l’une de haine et de mort, l’autre de Vie et d’Amour joyeux.

Route de haine et de mort, celle qui veut que soit servi premier le plus fort. Alors chacun veut, impitoyable, être le plus fort pour être servi, puis quand le fort s’est affaibli, le faible qui a réussi à survivre, laisse mourir abandonné le fort qui n’a pas su l’aimer.

Ou route d’Amour et de Vie qui veut que soit servi premier le plus faible. L’on ne se querelle pas pour être faible et souffrant, et quand le fort d’hier faiblit, le faible qui a été aidé par lui à grandir, l’entoure de la mème tendresse dont il a été entouré.

Oui, vous que nous aimons, filles et garçons, soyez sûrs, audacieusement, de cela : Vous allez être ou l’une des plus heureuses ou l’une des plus malheureuses générations qui aient jarnais existé.

Si vous entrez dans la vie avec pour idéal, pour unique ambition : « Moi, moi, ma fortune, ma carrière, ma réussite, que m’importent les autres ! … » alors vous Stes à plaindre d’avoir 20 ans en ce temps, car les ampleurs et la farce des bouleversements mondiaux commencés en celte époque (la seule ainsi de toute l ‘Histoire connue), cette farce, que rien n’arrêtera, brisera (Dieu merci car peut-être cela ouvrira les yeux de beaucoup) ceux qui n’auraient pas d’autre idéal.

Mais si vous entrez dans la vie, avec, certes, la volonté d’être heureux (c’est Gloire de Dieu le bonheur des humains), volonté d’être heureux dans le service du bonheur de tous, alors vous êtes enviables d’avoir 20 ans maintenant car il y a des moyens comme jamais il n’y en avait eu de servir le bonheur de tous en commençant par les plus faibles.

Aimer, c’est : « ma Joie en ta Joie, et ta Joie en la mienne, nous guérissant ensemble de ton mal devenu le mien, et nos Joies ensemble au service de la Joie de tous ».

N’est-ce pas ainsi dans une simple famille humaine ? La famille humaine Universelle n’est qu’élargissement du secret du bonheur de chaque famille de partout à travers la terre.

Un temps comme le nôtre, (qui voit son regard perdu dans la recherche de particules élémentaires (introuvables ! ) et dans le dénombrement de milliards de galaxies, faites de milliards de soleils avec chacun leurs planètes et satellites), ne peut plus se satisfaire, pour trouver un vrai sens à la vie, un sens à la mesure des faims et soifs qui crient en tout humain, se satisfaire de seulement admirer le fantastique prodige des quelques dizaines de kilos de matière assemblés pour faire un être si provisoirement pensant, nous.

Oui nous sommes plongés dans le cosmos, êtres minuscules et fugitifs.

Mais, parce que seuls, (parmi tous les êtres jusqu’ ici connus de nous), nous sommes dotés de liberté, c’est-à-dire capables de nous idolâtrer, ou de nous donner c’est-à­ dire de, consciemment, volontairement, Aimer, nous sommes en réalité ceux sur qui repose tout le sens, ou tout l’absurde absolu, de l’Univers.

L’Eternel ne peut être qu’infiniment Parfait. L’Infinie Perfection ne peut culminer qu’en Amour.

L’Amour infini ne peut vouloir agir et faire être au-delà de lui, que pour plus d’écho d’Amour.

L’Eternel n’a pas besoin d’étoiles pour jouer ! Père, Verbe, et souffle incessant du Père et du Verbe s’aimant, il ne peut vouloir des êtres que pour que se multiplie l’Amour de l’Amour.

Saint François d’Assise, jeune homme comblé de vaines fêtes, un jour se retrouvant éclairé d’un autre regard en lui, ne cessait dès lors de redire : « L’Amour n’est pas Aimé, l’Amour n’est pas Aimé… »

Merci à tous, mes compagnes et compagnons d’Emmaüs, Mesdames et Messieurs de l’admirable Fondation Balzan, de ne pas cesser d’apporter votre soutien à tous ceux qui veulent Vivre pour donner ce « sens » merveilleux à l ‘Univers entier, cosmos de fleurs, d’oiseaux et d’étoiles, et d’humains souffrant tant de n’avoir pas appris, dès leur enfance, que Vivre c’est Aimer en des partages chaque jour plus justement renouvelés.

Est-ce que je ne vous dois pas, Mesdames et Messieurs, de vous faire savoir ce à quai va être employée la somme que vous m’avez confiée ? J’ai d’abord décidé de la répartir en deux parts égales : une part pour les actions d’Emmaüs France (car il y a de la misère en France), et l’autre part pour Emmaüs International, responsable d’actions dans 32 pays du monde. J’ai appris depuis qu’Emmaüs France a décidé de remettre sa part également à Emmaüs International afin que les plus souffrants soient servis les premiers.