France
Christophe Salomon
Prix Balzan 2025 pour Atomes et mesure du temps ultraprécise
Le temps est l’une des grandeurs fondamentales de la nature et sa définition a toujours suscité des débats scientifiques et philosophiques de la plus haute importance. Essentielle à toute activité humaine, la mesure du temps a été fondée pendant des millénaires sur la succession cyclique du jour et de la nuit, ce qui a permis le développement du « cadran solaire », utile pour l’activité principale qui était l’agriculture. Des mesures du temps d’une meilleure précision ont ensuite été rendues possibles par le comptage de phénomènes périodiques de plus en plus rapides, depuis les oscillations du pendule de Galilée jusqu’aux horloges modernes. Le défi d’affiner l’évaluation du « passage du temps » est fortement motivé d’une part par des recherches fondamentales par exemple sur la structure des atomes et des molécules, mais aussi par des activités technologiques, qu’il s’agisse du transfert d’informations à très haut débit ou de la détermination des distances parcourues en mesurant la durée nécessaire à la lumière pour les traverser, ou encore de la navigation aussi bien sur la Terre que dans l’espace.
La mécanique quantique – dont l’UNESCO célèbre cette année le centenaire – a permis de comprendre la structure des atomes et les mécanismes selon lesquels les électrons peuvent « sauter » d’un niveau d’énergie à un autre, s’ils sont pilotés par un rayonnement électromagnétique oscillant à une fréquence bien déterminée, correspondant à la différence d’énergie entre deux niveaux atomiques.
Il y a environ soixante ans, la définition du temps a changé, passant de la répétition cyclique du jour et de la nuit au tic-tac des atomes de césium, 9 milliards de fois plus rapide que celui du pendule de Galilée. Les atomes, identiques à tout moment et en tout lieu, sont au cœur des horloges actuelles les plus précises.
Dans un gaz à une température normale pour nous, ces particules s’agitent très rapidement, ce qui limite la possibilité de les observer suffisamment longtemps pour mesurer précisément leurs oscillations à la base de l’horloge atomique. La mécanique quantique, outre une révolution dans la compréhension scientifique, a conduit à d’importantes révolutions technologiques, telles que l’invention du laser qui, parmi ses innombrables applications, a en particulier permis de ralentir le mouvement des atomes en les refroidissant jusqu’à des températures voisines du zéro absolu. Si l’importance du refroidissement laser en termes généraux a été reconnue par l’attribution du Prix Nobel de physique 1997 à Steven Chu, Claude Cohen-Tannoudji et William Phillips, c’est son application à la métrologie du temps qui est reconnue par le Prix Balzan 2025.
Le lauréat, Christophe Salomon, est à l’origine de l’invention de méthodes pionnières qui, à partir du refroidissement laser, lui ont permis de développer de nouveaux types d’horloges atomiques. C’est à lui que l’on doit l’invention et la première démonstration, en 1991, de l’horloge à fontaine atomique, dans laquelle des atomes de césium, capturés par des faisceaux laser à une température de quelques microkelvins seulement (quelques millionièmes de degré au-dessus du zéro absolu) sont délicatement projetés vers le haut, comme le jet d’eau d’une fontaine, et sont mesurés tout au long de leur mouvement ascendant, puis descendant. Ce schéma permet d’augmenter considérablement la durée de la mesure, et donc sa précision. Aujourd’hui, le schéma de la fontaine atomique est utilisé dans les instituts de métrologie du monde entier pour la réalisation du réseau d’horloges atomiques primaires interconnectées qui définissent le temps atomique international.
Christophe Salomon, qui est un chercheur de premier plan en physique fondamentale, a reconnu très tôt l’importance de la mesure précise du temps dans ce domaine, et il a mis au point, en collaboration avec l’observatoire de Paris, la première fontaine atomique « transportable ». Il l’a utilisée dans le laboratoire dirigé par Theodor W. Hänsch (lauréat du Prix Nobel de physique 2005) pour des mesures du spectre de l’hydrogène qui ont fourni un test très précis de la théorie de l’électrodynamique quantique (QED), la théorie physique qui est aujourd’hui vérifiée expérimentalement avec la plus grande précision.
Il a également été le premier à proposer de faire fonctionner des horloges à atomes « ultra-froids » dans l’espace. Il y a 30 ans, il a commencé à développer la première horloge au césium pour la Station spatiale internationale (ISS), où l’environnement de microgravité peut permettre des améliorations considérables en termes de précision et de tests très précis des effets de la relativité générale, mais aussi une meilleure synchronisation du réseau mondial des horloges primaires. C’est il y a quelques mois seulement que l’horloge spatiale développée par Christophe Salomon, ses collaborateurs, le CNES (Centre National d’Études Spatiales) et l’ESA (European Space Agency), a été installée sur l’ISS et les premiers signaux expérimentaux montrent déjà une augmentation du temps d’interaction par rapport aux fontaines atomiques terrestres.
La communauté scientifique travaille désormais à la mise au point d’horloges atomiques encore plus précises, telles que celles qui sont fondées sur la mesure de fréquences optiques, cent mille fois plus grandes que celles des micro-ondes utilisées dans les horloges étalons actuelles. Dans ce domaine également, l’horloge à atomes froids de Christophe Salomon qui opère dans l’espace pourrait s’avérer cruciale pour connecter et analyser la reproductibilité de ces nouvelles horloges qui fonctionnent à différents endroits de la Terre.